Les températures plongent. Les grues cendrées plongent vers le sud. Levez les yeux, le spectacle des escadrilles en V est un moment inoubliable! Le lac du Der est leur principal site de stationnement d’Europe.
Ce sont 250.000 grues qui empruntent deux fois par an, les mêmes couloirs migratoires longs de 2.500 km et larges de 200 km. L’automne dernier, un temps très perturbé avait espacé fortement les vols partis du nord de l’Europe pour gagner la Hesse, survoler les Fagnes, la Champagne, rejoindre les régions de Gascogne-Aquitaine, l’Estremadure et enfin la lagune de La Janda, quand Gibraltar fait office de tête de pont vers l’Afrique du nord.
Actuellement, la grande diagonale Vaasa-La Janda a des allures de couloir aérien très densifié. Les grands sites européens de comptage s’affolent. Parmi ceux-ci, le lac du Der en Champagne-Ardenne est le plus proche de nos régions. C’est la Mecque de la grue cendrée (Grus grus de son nom savant). Chaque année, entre 200.000 et 350.000 grues y transitent. Le dernier record date du 11 novembre 2014 où 206.000 grues ont été comptabilisées au lever des dortoirs !
Le Der, les observateurs avertis s’y pressent discrètement, jumelles et téléobjectifs en bandoulière. Leur canardage est inoffensif. Certains participent à ces fameux comptages journaliers, pas une mince affaire quand il faut estimer le nombre sans cesse mouvant d’individus qui jouent avec les ascendances thermiques. Ce spectacle exceptionnel sans cesse renouvelé nous communique ce que la nature a de plus essentiel aussi il est indispensable de ne pas déranger ces oiseaux très farouches. Le dérangement perturbe les groupes, empêche les oiseaux de se nourrir correctement et de reconstituer leurs réserves à une période où ils en ont grand besoin.
Restoroute en Champagne
Qu’est-ce qui attire cet élégant échassier dont l’envergure peut atteindre 1,80 à 2,40 m? Pas de bitume pour ce restoroute avicole au garde-manger bien fourni: le lac du Der-Chantecoq est un très vaste lac réservoir de 4.800 ha. Voilà l’espace immense d’où cette espèce craintive et grégaire peut surveiller les lieux, profiter des ilots chaque soir pour passer la nuit à l’abri d’éventuels prédateurs, gagner les zones d’alimentation tout autour du site, prairies, pâtures, chênes pour les glands et cultures de maïs en particulier.
Comme on pouvait s’y attendre, l’effectif de grues répertorié ce dimanche 21 octobre y était important avec 55.290 grues. Dans la matinée, la migration a repris depuis ce site. Les grues ne sont pas des lève-tôt: elles quittent la Champagne après la dissipation des brouillards soit en début d’après-midi, un horaire tardif ! En soirée, de nouvelles grues arrivent par la Lorraine et l’Alsace.
Et si, sans aller jusqu’en Champagne, vous n’avez pas encore entendu leur cri tonitruant « grus, grus, grus… » d’une puissance émotive qui vous prend aux tripes, cela ne saurait tarder.
Dominique Legrand