Rebecca Marder lit « Lettres à Guillaume Apollinaire »

Jeune étoile de la Comédie-Française, Rebecca Marder prête sa voix à Lou. Le CD audio Lettres à Guillaume Apollinaire fait vivre l’image de l’amante indomptable puis de l’amie reléguée, Louise de Coligny-Châtillon.

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                                                                                             Rebecca Marder. ©Comédie-Française.

Coups de langue acérée sur une plaie à vif, infinies douceurs d’un miel délétère, ainsi sont les mots de Lou : « mon Gui à moi », « mon petit amour chéri », « rejoins-moi », « rapplique vite », « faut pas être méchant », « ton petit sifflet à deux trous », « tu es très vicieux », « te prendre, te boire », « pour que le fouet me corrige partout », « je me laisserai faire »…

D’une voix nerveuse, avec cette autorité du libertinage, Rebecca Marder enflamme les Lettres à Guillaume Apollinaire dans un CD audio récemment édité chez Gallimard. Langoureuse ou lionne en cage, la jeune comédienne donne voix à une tornade aux yeux de biche de dix ans son aînée car Louise de Coligny-Châtillon a 33 ans quand elle devient l’objet de l’amour fou de Guillaume de Kostrowitzky, de fin septembre 1914 à mi-février 1915, -leur correspondance se poursuivant jusqu’en janvier 1916.

Le ton feu-follet est-il proche de celui de l’inspiratrice des Poèmes à Lou ? Du moins, il prête vitesse, impudence et ce souci de cueillir tout ce qui passe dans le monde moderne; bien plus, il comble les silences des innombrables Lettres à Lou qui ont la jalousie pour thème récurrent avec pour toile de fond majeure les tranchées de la Marne d’où correspond Apollinaire.

Rebecca Marder est entrée à la Comédie-Française en 2015. A 20 ans, la jeune pensionnaire y interprétait son premier rôle dans Les Rustres de Carlo Goldoni. En doublant Lou aujourd’hui, elle en impose quand il s’agit de jouer l’exaltation, riant de tout, se moquant de tout, en apparence. Comme une chatte sur un toit brûlant, distillant toute la gamme d’une sensualité énervée et un peu éperdue, elle se glisse dans le grand jeu des imprécations, remords et excès en forme de monologue jeté sur papier d’une écriture fantaisiste et pointue.

« J’écris vite car je veux que tu aies de mes nouvelles », écrit Lou. Et pourtant, elle n’en donne pas tant que cela dans la cinquantaine de lettres, cartes postales et télégrammes retrouvés par Pierre Caizergues dans l’ancienne collection Apollinaire. Un jour, elle est enrhumée, l’autre elle se tortille car elle a mangé trop de prunes, quand elle n’est pas en en manque d’argent pour payer le dentiste. Avec l’art de l’excitation, l’inspiratrice des Poèmes à Lou se prête aux jeux interdits, légère dans ses volte-face entre Nîmes, Neuilly, Nice, Marseille ou Lunéville, précise dans sa liberté d’expression d’instants choisis au gré d’un érotisme où la douleur s’allie au plaisir. Frivole et déchaînée, -ainsi la décrit André Rouveyre, ami de Guillaume Apollinaire-, Lou ne fait que raconter l’histoire d’un homme et d’une femme, de l’embrasement à la fin d’un amour car le 2 janvier 1915, dans le train qui le ramène en permission, Apollinaire rencontre Madeleine Pagès.

Aussi vite que Lou écrit, Rebecca Marder qui a débuté au cinéma à l’âge de cinq ans dans Ceci est mon corps aux côtés de Mélanie Laurent multiplie les rôles au cinéma (Demandez la permission aux enfants avec Sandrine Bonnaire, La Rafle en compagnie de Sylvie Testud, Un homme pressé face à Fabrice Luchini), à la télévision (Emma d’Alain Tasma, Fiertés pour Arte) et bien sûr au Français où elle jongle entre Molière, Racine, Feydeau ou Frank Wedekind.

Cette saison, elle joue dans Fanny et Alexandre de Ingmar Bergman par Julie Deliquet, Électre / Oreste d’Euripide par Ivo van Hove, Les Serge (Gainsbourg point barre) par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux ainsi que dans la reprise de L’Hôtel du Libre-Échange.

Dominique Legrand

Louise de Coligny-Châtillon dite Lou, Lettres à Guillaume Apollinaire. Edition de Pierre Caizergues. Collection Blanche, 128 p., Gallimard, 12 euros.

Louise de Coligny-Châtillon dite Lou, Lettres à Guillaume Apollinaire. Lu par Rebecca Marder de la Comédie-Française. CD audio, 1h15 min. Collection Ecouter-Lire, Gallimard, 12,90 euros.

Article paru sur https://apollinaireaiaga.wixsite.com/apollinaire-aiaga

 


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