Bernard Tullen au Triangle Bleu

« gm project », cette nouvelle exposition de Bernard Tullen à Stavelot est un rébus. Ou, si vous préférez, une enquête spatio-temporelle éthique, surtout un  moment pictural intense.

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La première impression est un calme quasi chirurgical. Une froideur. Les premières images sont floues, estompées à force d’une multiplicité de couches picturales où la couleur n’est pas absente, loin s’en faut. Ces tonalités impalpables, il faut aller les dénicher d’un regard patient au plus profond de la matière. Contemplative au premier abord, avec ces scènes de village apparemment vides de sens, des éléments végétaux dissociés de tout contexte, l’exposition des nouveaux travaux du plasticien genevois commence comme un rébus. Bernard Tullen livre des indices certes d’une fascinante manière, mais il nous est impossible de les assembler sans lire un court texte introductif.

« gm project » évoque le parcours et la dérive de George Montandon, médecin, anthropologue et explorateur helvético-français, né à Cortaillod en Suisse le 19 avril 1879, mort en août 1944 abattu par la Résistance. Favorable à la révolution bolchévique et membre du Parti communiste suisse vers 1920, il devient plus tard théoricien du racisme scientifique, inspirateur de Céline, collaborateur et antisémite…

Dans une palette de gris et de teintes sourdes d’où la couleur émane par miracle, le questionnement de l’image et son surgissement repose sur une source d’inspiration étonnante: « Il rentrait à Genève en voiture, la radio en sourdine, quand il a entendu une émission où l’on évoquait un « Suisse peu recommandable », explique la galeriste Francine Jacques. Un certain George Montandon. Arrivé chez lui, il commence des recherches sur internet, découvre cet homme au parcours étrange. Il décide de partir sur ses traces. C’est le point de départ de gm project. »

Selon une démarche psychogéographique situationniste, Tullen va questionner le paysage où Montandon a passé son enfance et sa jeunesse avant de devenir l’explorateur et le chirurgien réputé, puis celui qui d’un regard d’anthropologiste « triait » les Juifs et les condamnait à mort. Voici Bernard Tullen à Cortaillod, sur les rives du lac de Neufchâtel, photographiant quantité de détails qu’il transposera en instants picturaux qui deviennent des images absolues, confondantes de symbolisme.

La recherche s’est rapidement élargie à l’étude attentive et l’utilisation de photographies publiées par Montandon dans ses livres pour illustrer ses récits de voyages. En 1936, après plusieurs expéditions ethnographiques et même humanitaires en URSS, Montandon quitte le Parti communiste dont il était un adepte inconditionnel. Il place ses recherches anthropométriques au service de l’antisémitisme et du gouvernement de Vichy. Son expertise enverra nombre de Juifs dans les camps. L’inspirateur de Céline sera abattu par la Résistance en août 44.

Le second espace d’exposition montre 86 représentations de crâne sur papier, -huile, cendres et cire-.  Abordant les examens anthropométriques effectués par George Montandon pendant la guerre, ces « portraits » constituent l’épicentre du « gm project ». Bernard Tullen ne juge pas, tant il laisse la question béante: comment percer le mystère  d’un tel retournement humain et politique?

Dominique Legrand

gm project. Bernard Tullen, Galerie Triangle Bleu, 5 cour de l’Abbaye, Stavelot. Jeudi à dimanche, de 14 heures à 18h30, jusqu’au 10 juin 2019. http://www.trianglebleu.be

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