Apollinaire sur le divan d’Elena

Imaginez des milliers de pages, lettres et récits allongés comme un immense corps sur un divan en velours rouge… Avec tact et passion, Elena Fernández-Miranda trahit un secret incommensurable dans un livre bouleversant où les peurs de la femme multiple ensemencent une œuvre-vie qui ouvrira des voies nouvelles à la poésie de son époque. Le monde d’Apollinaire.

Dans son nouvel essai Les Fantasmes d’Apollinaire, Elena Fernández-Miranda lève toute censure sur l’œuvre de Guillaume Apollinaire, poursuivant sa quête de vérité en perçant les zones d’ombre qui entourent encore la complexité apollinarienne.

Sadisme, masochisme, provocations et fétichismes sont démasqués au fil d’une relecture des textes sous l’angle de la psychanalyse freudienne. Les femmes, les errances de l’esprit, du cœur et du sexe irriguent cette étude érudite aussi intime que troublante.

3 Questions à… Elena Fernández-Miranda

docteur en littérature française, juriste-linguiste à la Cour de Justice européenne, directrice à la direction générale de traduction de la Commission européenne, auteure de Les Secrets d’Apollinaire, Les Fantasmes d’Apollinaire et de nombreuses communications dédiées au poète mal aimé et mal aimant.

  •  Après Les Secrets d’Apollinaire, vous publiez trois ans plus tard un nouvel ouvrage placé aujourd’hui sous le signe des fantasmes de l’écrivain. Quelles sont vos nouvelles pistes de recherches ?

Principalement, la version complète des Lettres à Madeleine que je ne connaissais pas quand j’ai écrit Les Secrets de Guillaume Apollinaire. En effet, Madeleine, la fiancée d’Apollinaire pendant la guerre, a censuré énormément de lettres lors de leur publication en 1952. Vis-à-vis de Madeleine, Apollinaire reproduit le schéma comportemental de sa mère qui s’intéressait tant à ses études, se préoccupait de sa santé, lui recommandait de prier Dieu et la Vierge, tout en lui infligeant des coups de fouet et de cruelles humiliations. D’un côté, il exprime dans ses lettres à Madeleine son désir de la fouetter et de la faire souffrir ; de l’autre, il lui adresse des mots d’amour et de tendresse. Madeleine a consciencieusement éliminé les passages les plus sadiques, donnant à son livre le titre Tendre comme le souvenir !

Parmi d’autres pistes particulièrement éclairantes, je retiens aussi le récit d’Apollinaire, Raspoutine, ainsi qu’un article du psychologue français Michel Demangeat « L’Enchanteur Pourrissant : lecture naïve d’un psychanalyste » (Apollinaire. Revue d’études apollinariennes, n°9) mais aussi les essais de la psychologue allemande Alice Miller, L’Enfant sous terreur, Le Drame de l’enfant doué.

  •  Votre matière première demeure le texte apollinarien en tant qu’objectivation du fantasme. En quoi offre-t-il un terreau particulièrement riche à cette lecture psychanalytique ?

Lors de son enfance, Apollinaire n’a raconté à personne ce qu’il ressentait, ni ses expériences douloureuses ni les mauvais traitements de sa mère. Car il n’avait qu’elle et son plus jeune frère pour toute famille. Alors, il nous les raconte, nous ses lecteurs lointains dans le temps et l’espace. Il les exprime de mille manières, quelques fois très ouvertement, d’autres fois déguisées, mais ses expériences sont toujours là. A nous de l’écouter, le laisser même pleurer sur notre épaule. Voire assister avec horreur ou pitié à ses crises de révolte et de rage.

Apollinaire éprouvait le besoin pulsionnel de raconter les souffrances endurées, de s’exprimer. Ce qu’il a fait dans des mises en scène inconscientes. Dans L’Enchanteur pourrissant, il exprime sa peur des femmes et surtout la peur de la mère. Dans Le Poète assassiné, un trio imaginaire reproduit les expériences de son enfance avec sa mère et son frère.

Les coups de fouet de sa mère ont dû être particulièrement durs mais aussi terriblement excitants, à juger comment il les évoque. Nous les trouvons dans Les Onze mille Verges bien sûr, dans les Lettres à Lou où les allusions au fouet ont particulièrement impressionné le préfacier de mon livre, l’écrivain Raymond Jean. Dans la version intégrale des Lettres à Madeleine, il exprime son obéissance totale à sa mère, tout en écrivant à sa fiancée : « Il me tarde que comme dompteur je te maîtrise à coups de fouet… », « Je peux te déchirer la peau si je le veux, zébrer de coups tes jambes et ta croupe… ». Ecrit peu avant sa mort , Raspoutine ravive encore le fantasme de la flagellation comme une obsession absolument nécessaire pour atteindre l’excitation sexuelle.

  • En révélant les fantasmes d’un homme-siècle tel Apollinaire, quelles sont vos motivations profondes? Juste briser un tabou?

Je crois que le moment était arrivé pour que quelqu’un l’écoute enfin. Qu’on écoute, tels qu’il nous les raconte, même de manière inconsciente, les fantasmes obsédants et violents qui découlent des blessures de l’enfance. Il faut aussi admirer comment Apollinaire a trouvé un génial exutoire dans la littérature, une excellente thérapie pour notre poète.

Propos recueillis par

Dominique Legrand

Conférence et signature. Vendredi 3 mai 2019, à 17h30. Présentation par l’auteure. Adresse : Société des Poètes Français (Espace culturel Mompezat) 16, rue Monsieur Le Prince 75006 Paris (métro Odéon ou Luxembourg) Tel : 0033 (0)1 40 46 99 82.

Le livre.

AIAGA cover FantasmesL’Harmattan, collection Espaces littéraires, 368 p. 37,50 euros.

Crédits. Apollinaire en 1909, archives Charmet / Brideman Images; D.R.

Article paru sur https://apollinaireaiaga.wixsite.com/apollinaire-aiaga


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